Christophe Mileschi

Écorches
(extrait)

dans mon manteau en peau de moi
je vais

je suis de feu de sang
et vole
et brûle
en l’air
limpide

 
n’est que
 
ce que je vois
 
ce que je vois
 
n'est pas
 


quelconque un papillon
est également pro
fond ni plus ni moins que
la pensée : mais avec
d’avantage davan
tage d’économie
et légance
*
parler
et couvrir
la nuit

tombe
des lits
de pissenlit

il est en retard
le cri fracassant l’aube
et c’est l’effroi gris

perle de parole
tu chantes la marge fauve
l’étonnement des passereaux

*

Je prends un mot de la main gauche. Puis de la droite (si ce jour-là je suis droitier), j’empoigne ma hachette, ma préférée, celle au manche de bois vieilli à l’âtre de gascogne. Alors, d’un geste vigoureux, je cogne et taille le mot en pointe, bien acérée.
D’abord, on croit que certains mots s’y prêtent, et d’autres non. C’est faux. Tous les mots se prêtent, ab so lu ment tous les mots, à être taillés en pointe très acérée, et deviennent à loisir des poignards, des dards, des javelots, des plumes de jadis. C’est selon ce dont on a besoin à l’instant.
Une fois le mot pointu ainsi que je le voulais ce jour-là, je le plante.
Je le plante sans remords. Je le plante sans retard. Je le plante sans regard. Je le plante sans égard. Sans con ni ren ni in ni même tergi verser. Je le plante là où ça fait le plus mal.
D’abord, on croit qu’il y a un endroit, unique et le même à chaque fois et pour tous, où ça fait le plus mal. On suppose que ce doit être l’œil, ou l’en-dessous de la langue, ou l’en-dedans du sexe. C’est faux. D’aucuns sont pour ainsi dire devenus insensibles de ces côtés-là. Mais nul jamais n’est insensible de tous ses côtés à la fois. N’importe quel endroit peut être celui où ça fait le plus mal. On est surpris de voir que ce peut être le bout du pouce, ou le lobe de l’oreille, un orteil, la frange de l’auréole, ou, mais oui, tiens, oui même, la cravate, le diplôme de droite pensée, l’araison sociale, la carte d’accréditation, le bulletin scolaire des enfants, l’honneur rangé en légion.
Quand j’ai bien repéré l’endroit, j’ai il faut dire une certaine expérience des endroits où ça fait très mal, j’y plante le mot : tchac. Ou tsac. Ou schtak. Ou ppah. Tout dépend de la façon dont je l’ai taillé, et de l’endroit où je plante. Dans une cravate, si la pointe est très effilée, c’est presque silencieux : un sifflement, qu’il faut une oreille aguerrie pour entendre. Mais si c’est bien l’endroit où il fallait planter, ah je vous jure, c’est efficace. J’en ai vu plus d’un se tordre de honte de se voir soudain affublé de ce chiffon à pendu, simplement parce que j’y avais planté d’un mouvement sec et sans concession le susbtantif féminin « laisse » bien aiguisé.
Ensuite, on peut devenir grands amis, à la vie, à la mort, à jamais, pour toujours, et même bien au-delà de ces délais un peu mesquins.
Ensuite, aussi, il arrive qu’on devienne ennemis, à peu près aux même conditions, sauf que cette fois, on reste au-dedans strictement de l’enclôture des mesquineries, sous l’enclouüre des chiotteries..
C’est tout de même une belle consolation, allez, qui me repersuade quand bien même d’encore tailler et les mots bien planter.


Le Nœud des Miroirs


Notice bibliographique


Type : texte imprimé, monographie

Auteur :  Mileschi, Christophe (1961-....)
Titre :   
Écorches [Texte imprimé] : poèmes / [Christophe Mileschi]
Publication :  en attente
Description matérielle :
Collection :  Le Nœud des Miroirs. Numéro errant
Lien à la collection :  Le Nœud des Miroirs. Numéro errant.
Note :  

Prix : 5 €