Michèle Levy
(extraits de "Présages")

L'enfant de Brest
à André


Quand je suis arrivée à Brest, les rues s’enfonçaient sous l’eau. Des milliers d’oiseaux morts, engouffrés par les fenêtres béantes, ont blanchi, abandonnés sur les toits, dans les caves, sur les planchers des immeubles.
Les habitants, parfois, croient les entendre chanter, mais c’est le souffle du vent qui s’élève dans le port.
Toute la ville, debout, attend. Ils savent que cela peut revenir un jour. Le bruit des bombardiers ou celui des cloches qui annoncent la peste trébuche sur les escaliers de granite.
Brest la grise, veille, les genoux dans la mer, les cheveux ruisselant de brume. Des pavots poussent entre ses pierres.
Souvent une mouette crève le ciel et casse le béton d’un coup de bec.
D’instinct, l’enfant que tu étais savait la musique des bombes, leur tendre sifflement qui brise la nuit comme une coquille d’œuf
Tu étais si petit, peut-être même à naître, relié par un mince cordon au mors de vie et pourtant, sous ton crâne, déjà, un millier de moineaux.

Ils pépient et inlassablement leur mémoire en moi, reflue. Nuit après nuit, je déploie des mers insomniaques, déverrouille les grilles, décape et oxygène un territoire préhistorique où nous nous retrouvons, mêlés de sel aux origines.
J’ai dérivé dans la rumeur de tes songes, comme en un fleuve au miroir calme où j’ai flotté, pétrie d’eau et de feu.
J’ai convoqué le troupeau de tes angoisses pour conjurer la clameur des caves (quand s’abattait la phalange des ventres de fer) qui te déchire encore.
Aujourd’hui, chevillé à la mer d’Iroise, au liseré de l’Occident, tendu jusqu’au vif dans la zone des tempêtes, tu projettes des courants, des marées, des bancs de migration dans les filets de l’avenir.


*
* * *


Présages

I

Cela a commencé sur les hauteurs :
les vents de longue haleine, tendus vers l’odeur de poussière, flairaient le bruit. Des bêtes fouissantes poussaient la terre sous les fourrés. Aux vitres, des étincelles bleues : « la foudre » disaient les paysans, serrés dans le fond des cuisines enfumées. Bientôt le jour se cognerait aux tuiles, exploserait en touchant l’herbe sèche. Les vents fuyaient, grinçant au-delà des crêtes, hargneux. Et les étoiles apeurées, entassées dans la turbulence des granges.
Brûlant tous les présages, quelqu’un marche dans l’air rigide. Si peu que nous bougions, si lentement, partout son ombre qui boit la lumière, son pas et son cheminement inexorable en direction de nos guérets.


II


L’ordre des présages menace le cours de nos jours. Que feras-tu, mille fois endormi, mille fois réveillé en sursaut au milieu de ta vie, alors que grondent les loups et les tourments, que les aigles eux-mêmes se cachent dans les ronces, que se dépeuplent les visages cousus de lumière et de sang ?

Le Nœud des Miroirs

Notice bibliographique


Type : texte imprimé, monographie

Auteur : Lévy, Michèle (1949-....)
Titre :   Présages [Texte imprimé] : poèmes / [Michèle Lévy]

Publication :  Souillac : Le Nœud des miroirs, 2004.
Description matérielle :   Non paginé [40] f. ; 21 cm
Collection :  Le Nœud des Miroirs. Numéro errant
Lien à la collection :  Le Nœud des Miroirs. Numéro errant.
Note :   Suppl. au "Nœud des Miroirs", ISSN 1272-3266.
Vignette de couverture : J. Rouby.

Prix : 5 €