L'enfant
de Brest
à André
Quand je suis arrivée à Brest, les rues s’enfonçaient
sous l’eau. Des milliers d’oiseaux morts, engouffrés
par les fenêtres béantes, ont blanchi, abandonnés
sur les toits, dans les caves, sur les planchers des immeubles.
Les habitants, parfois, croient les entendre chanter, mais c’est
le souffle du vent qui s’élève dans le port.
Toute la ville, debout, attend. Ils savent que cela peut revenir un
jour. Le bruit des bombardiers ou celui des cloches qui annoncent
la peste trébuche sur les escaliers de granite.
Brest la grise, veille, les genoux dans la mer, les cheveux ruisselant
de brume. Des pavots poussent entre ses pierres.
Souvent une mouette crève le ciel et casse le béton
d’un coup de bec.
D’instinct, l’enfant que tu étais savait la musique
des bombes, leur tendre sifflement qui brise la nuit comme une coquille
d’œuf
Tu étais si petit, peut-être même à naître,
relié par un mince cordon au mors de vie et pourtant, sous
ton crâne, déjà, un millier de moineaux.
Ils
pépient et inlassablement leur mémoire en moi, reflue.
Nuit après nuit, je déploie des mers insomniaques, déverrouille
les grilles, décape et oxygène un territoire préhistorique
où nous nous retrouvons, mêlés de sel aux origines.
J’ai dérivé dans la rumeur de tes songes, comme
en un fleuve au miroir calme où j’ai flotté, pétrie
d’eau et de feu.
J’ai convoqué le troupeau de tes angoisses pour conjurer
la clameur des caves (quand s’abattait la phalange des ventres
de fer) qui te déchire encore.
Aujourd’hui, chevillé à la mer d’Iroise,
au liseré de l’Occident, tendu jusqu’au vif dans
la zone des tempêtes, tu projettes des courants, des marées,
des bancs de migration dans les filets de l’avenir.
*
* * *
Présages
I
Cela
a commencé sur les hauteurs :
les vents de longue haleine, tendus vers l’odeur de poussière,
flairaient le bruit. Des bêtes fouissantes poussaient la terre
sous les fourrés. Aux vitres, des étincelles bleues
: « la foudre » disaient les paysans, serrés dans
le fond des cuisines enfumées. Bientôt le jour se cognerait
aux tuiles, exploserait en touchant l’herbe sèche. Les
vents fuyaient, grinçant au-delà des crêtes, hargneux.
Et les étoiles apeurées, entassées dans la turbulence
des granges.
Brûlant tous les présages, quelqu’un marche dans
l’air rigide. Si peu que nous bougions, si lentement, partout
son ombre qui boit la lumière, son pas et son cheminement inexorable
en direction de nos guérets.
II
L’ordre des présages menace le cours de nos jours. Que
feras-tu, mille fois endormi, mille fois réveillé en
sursaut au milieu de ta vie, alors que grondent les loups et les tourments,
que les aigles eux-mêmes se cachent dans les ronces, que se
dépeuplent les visages cousus de lumière et de sang
?