Jean Pierre Pouzol

Poème sans personne
(in La porte de proie)
à Bernard Noël


dire quoi
qui bout
sur la page
*
j'ai effacé mon visage
passé ma main sur l'image de mon gouffre
j'écris dans la solitude face à la porte de proie
je me suis vu un autre dans le miroir
j'avais un manteau d'ombre ou s'abreuvait la folie
autrefois l'aveugle me cousait à la peur
car j'étais cet aveugle qui cingle les mots
je me tiens dévasté
j'écoute le cri dément qui efface tout
mur contre mur je tourne dans ma cage
j'attends mourir dans l'oiseau qui s'enfuit
*
autrefois j'étais le même
je passais mes doigts dans le courant
je désirais un monde
le silence pétrifiait mon présent
j'avais des solitudes d'atrocité
je tournais à l'absence
pourtant j'étais réel
je poursuivais ce qui n'était plus des chimères
que dire du feu qui nous a dévoré
*
j'ai tué en moi la bête qui chante
afin que ma parole hante
et la forêt impénétrable tombe sur la dureté de la table
et sonde de nouveau l'aurore osseuse
comme un corps disloqué
dans le four des morts
j'ai tué mon visage de vertige
*
noir quelque part
le ciel roule vers le bas de la fontaine
où j'attends les hordes invisibles
jusqu'au sang de la mémoire
ma parole remonte avec l'oiseau des tôles
chaque pas davantage lourd me contraint tout au bord
où le bois serre
puis les cris percutent le flanc puis la main lâche
prise au fond du corps
*
sur la page j'écarte tout du vide qui me détruit

Caminel, La Borie de Couderc, novembre 1998.

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