« Nous craignons nos entrailles. Elles ont mauvaise réputation.
Nous en repoussons les images. Elles offensent notre délicatesse. J'en connais, des ventres noués par la peur, les tabous, la timidité, ou glacés par l'intellect. On n'a pas conscience de ce qu'ils contiennent de mondes inexplorés, de savoirs trop longtemps méprisés, ou maudits : le livre, qu'on n'ose lire, de notre identité en perdition, sinon perdue.
C'est ce qui me rend l'œuvre de Rouby à la fois si proche et si troublante. Elle a quelque chose de nouveau, qui semble nous attirer dans l'intimité dionysiaque des sens. C'est un art qui, soudain, nous donne vue sur notre pari le plus fou :faire danser la pensée dans le corps, faire danser le corps dans ses ténèbres, le faire tourner avec son mystère, le tragique en pointillé.
J’ai beaucoup écrit sur le corps, gisement pulsionnel de tous les possibles, dont le possible d'une autre façon de vivre. Plus souvent qu'à son tour, le gisement reste fermé, pour cause de rationalisation, et malgré la psychanalyse.
Dans notre nuit charnelle, que de chaînes, d'une pesanteur sans nom...
J'aurai passé ma vie, mon écriture, à ouvrir le gisement, à essayer d'être libre, de cette façon-là. Parfois, chaque mot comptait pour une lévitation. Mais jamais, au grand jamais, je ne pus me représenter ce mouvement.
Rouby, lui, me le montre, me le dévoile, de main de chorégraphe. Devant cette œuvre, j'ai l'impression d'aller à l'opéra. Mon opéra du dedans, de mes tréfonds, de mes gouffres, où chaque sensation, serait un personnage dont les courbes, les élans, les jambes et bras me délivreraient de la malédiction de penser lourdement, de vibrer enlisé. Tout cela n'empêche pas le désespoir. La différence, ici, c'est que le désespoir se soulève, prend sa part de l'étrange ballet qui récuse l'immobilité. Il secoue les torpeurs. C'est dire si je tiens Jacques Rouby pour un créateur de haute lignée visionnaire.
Et pour un ami. »
Marcel Moreau
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