À la manière de
Francis
Ponge |
Choix
du recueil : 3 ans.
Pièces, de Francis Ponge, éditions N.R.F., coll. Poésies Gallimard,
Paris , 1962.
Lecture des textes en zigzag : 20 mn.
Relecture : 3 h (choisir le métro, de préférence en plusieurs fois).
Plusieurs mois à l'avance (laisser s'imprégner).
Préparation : 3 h
Bla-bla descriptif : 2 jours.
Matière : LE CROTTIN (page 49), L'ÉDREDON (pages 55 et 56), LA POMME
DE TERRE (pages 66 et 67).
Mélanger les trois
morceaux intimement et faire une seule boule.
Éviter de goûter ! |
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Ajouter un
nouvel objet à décrire. |
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Pétrir en
mouillant de café noir, bien serré, en plusieurs fois. |
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Travailler
la matière jusqu'à ce qu'elle se détache des mains et du clavier,
puis incorporer une relecture en zigzag de l'ensemble de Pièces,
par petits à-coups souples. |
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Laisser reposer
quelques minutes. |
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Regarder
longuement l'objet sous toutes les coutures (ou non-coutures).
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Allonger
la sauce en ajoutant quelques observations pertinentes (?) de
l'objet. |
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Eviter la
simple recopie en vérifiant que les phrases n'existent pas déjà
telles quelles, pour un " à la manière de " (et pas un mélange
simple, qui serait peut-être même un plagiat ). |
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Déposer cette
pâte en boule. Étirer le tout en une fine feuille (recto-verso),
légère mais compacte. |
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Comparer
avec la matière première. Méditer (Cela peut prendre quelques
semaines). |
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Retailler
au besoin les pousses anarchistes. |
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Servir sur
un plat chaud, accompagné de froides analyses : |
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La
Merde
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Il
y a d'abord la coupe immaculée, ou plutôt d'une de ces urnes de porcelaine
où séjourne en permanence l'onde pure et nécessaire, cet autel dédié
aux plus profonds de nos émois qui trône dans chacune de nos maisons,
essentiel et cependant secret, dissimulé autant que protégé derrière
une porte pleine et verrouillable, dans une majestueuse solitude,
le plus souvent, et parfois honteusement flanqué d'un acolyte bas,
mutilé et rampant, auquel s'adjoint par la même occasion un réceptacle
suspendu, dépositaire sur ses bords d'objets nécessaires à la pérennité
du rite.
Au creux du réceptacle salvateur, juste avant la furie grondante des
eaux cannibales, on peut alors rapidement l'entrevoir, fugitivement.
Nos moeurs ne nous encouragent guère à sa contemplation prolongée.
Elle gît, telle une panse de noyée. Du cadavre, elle en a déjà le
comportement et les émanations.
Les vagues la meuvent avec infiniment de douceur, et elle tangue avec
grâce, d'un bord à l'autre de la cuvette nacrée. Parfois ronde et
obèse, parfois souple et longiligne, ou bien même flasque et épuisée
d'avoir trop bu, irisée, ocre, brune, constellée de pierreries coloriées
de rouge, de noir ou de vert, elle se démène nonchalamment à la surface
d'une mer bleue et odorante.
Il est difficile de capter son identité propre, car tout est fait
pour la dissimuler à nos regards, comme à nos narines : l'opacité
blanche de la cuve, tout d'abord, ourlée vers l'intérieur, et la pente
qui entraîne déjà à demi la masse pondue vers l'obscurité du tuyau;
et la couleur de l'eau, parfois même moussue, la plus éloignée possible
de la réalité animale; puis l'odeur entêtante et synthétique qui s'en
dégage.
La chose faite, l'acte pleinement accompli, il est même possible à
l'homme d'abattre sans attendre le couvercle funéraire sur le forfait,
rendant la chose invisible avant même d'y avoir jeté un oeil !
La crotte, que dis-je : la merde, n'a plus alors qu'à suivre le courant.
Ainsi en est-il des individus sur terre, produits par on ne sait quelle
nécessité, et qui passent leur vie portés par le courant, masses plus
informes que massives, peu consistantes au toucher et délitables dans
l'eau , facteurs de pollution comme seule trace de leur éphémère existence...

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Le
morceau de sucre
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Dans
une parallélépipédique boite de métal
jaune, dont ils reproduisent à plaisir l'algorithmie, sont
contenus des dizaines de ces autres parallélépipèdes
qu'on prend plaisir à laisser glisser délicatement dans
le café, ou toute autre boisson chaude, ou froide.
Sens
dessus-dessous, individuellement, la pièce n'a pas de dos ;
et elle offre à chacun une face immaculée.
Je n'irai pas jusqu'à qualifier sa blanche simplicité
de franchise, car elle la dissimule parfois dans une robe de papier,
se découvrant avec réticence sous les doigts, comme
une jeune mariée effarouchée.
Puis
ce morceau descend plus ou moins lentement dans le liquide ( selon
le principe d'Archimède, tout cela dépendant
de son volume, sa densité étant toujours, à quelque
chose près, semblable... ) et vient mourir au fond du
récipient ; c'est parfois un humble verre à moutarde,
qu'il déguise alors un temps en rivière de diamants.
A moins que, sous la spirale créée par la petite cuillère,
essaime d'abord une pluie scintillante d'étoiles minuscules.
C'est toute la beauté d'un réceptacle transparent !
Puis il fond de plaisir.
Parfois, il exprime son extase en expirant quelques petites bulles
discrètes qui viennent fleurir la surface.
Ce
bloc, cette bribe d'identité, est grégaire. Tout son
être ne paraît viser qu'à un seul but : recréer
l'entité première ; et supporte sans rechigner l'accumulation,
voire le surnombre: d'abord de par sa forme, qui lui permet d'entretenir
de nombreuses accolades ; et aussi de par cette étrange alchimie
qui fait que son volume se réduit au fur et à mesure
qu'il se multiplie ! Ainsi expliquerais-je l'erreur commune aux
distraits et aux gourmands, qui fait contenir aux tasses comme aux
bols ou aux bocaux de confiture plus que leur volume initial... Le
saccharose morcelé s'accommode très bien du voisinage
et ne laisserait pour rien au monde un parent dehors. Jusqu'à
vingt de ces congénères, m'a-t-on dit, une petite tasse
de bar peut contenir, pour peu qu'on ait l'élégance
de les arroser largement.
Massive, l'entame oblongue ( ou cubique ) de sucre n'a pas
de peau, sans être pour autant, et contrairement à son
apparence première, tout d'un bloc, entière.
Tout d'abord, ce roc est morcelé. Nous l'avons dit et redit,
souligné : oui, il reproduit ainsi à l'infini la même
mise en Abymes...
Si l'observateur s'entête, il verra que ces petits blocs eux-mêmes,
sont constitués d'un agglomérat de particules qui se
déposent sur les doigts, qu'on peut appeler à juste
raison "cristaux", puisqu'ils crissent sous la dent lorsqu'on
lèche ceux-ci ( les doigts ) rapidement.
Bonne
pâte, le sucre se noie pourtant dans un verre d'eau, et, face
à quelque magouille, dont il s'accommode pourtant très
bien, secrètement, peut devenir très collant, et se
rembrunir rapidement à la chaleur si on lui refuse l'amitié
d'une rondelle de citron...
D'abord, il voit rouge, puis brun... Puis il entre dans une colère
noire et se met à bouillir ; pustuleux à souhait, vérolé,
troué, il fume, enfle puis crève. Et recommence, jusqu'à
ne plus exhaler qu'une épaisse vapeur noire au-dessus du cratère
d'aluminium. Apaisé, il redevient bloc, mais de lave calcinée,
compact, dur et adhésif. Un roc redoutable. Intouchable. Inaccessible.
En un mot : immangeable.
C'est qu'il supporte très difficilement la solitude...
N'oublions
pas le sucre !
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Ode
au Pastis
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Prenez
ce réceptacle transparent mais trapu, cylindrique principalement,
bien que le fond laisse apparaître un rétrécissement
certain, dû en grande partie à l'épaississement
de la base plus qu'à l'obtusité de l'angle formé
par la paroi de verre et la base de la table, ou du comptoir.
Qu'on y verse quelques gouttes du Pastis, liquide à la limite
juste de la transparence, où les reflets d'or ne livrent que
les secrets apparents et mensongers de la réalité visible
qui le constitue.
Alors, tout le dehors se retrouve soudain dans le verre.
Il semble que de la bouteille jaillisse une potentialité de
geyser, un espoir de tempête, une illusion de prestidigitation,
un renversement illicite de nos valeurs apparentes, qui fait que toute
notre attention se trouve dès lors projetée vers ce
réceptacle, lequel accueille avec sérénité
la liquide mouvance à l'assaut de ses flancs lisses, transformant
en miroirs irisés la neutralité incolore qui le constitue,
paroi unique et multiple où se meut discrètement un
espoir laiteux invisible au non initié.
Laissons un instant le mystère se dire mystère aux spectateurs
recueillis ; laissons s'installer un silence temporaire et soudain
autour de l'icône estivale des campings, l'autel ripoliné
qui l'accueille se dédiant au rite paganiste qui consiste pour
tout fidèle en le croisement des jambes, l'ouverture des bras
répondant en écho à ce mouvement subtil et incoercible,
et la déposition des coudes sur les petits ponts de plastiques
moulés dédiés à cet usage qui figurent
généralement sur les côtés des sièges
de même matière.
Voici qu'arrive
l'urne translucide, comme figée dans sa vapeur glacée,
tendue à bouts de bras par la vestale mamelue à qui
est octroyée la tâche du transport, bien qu'elle ne daigne
généralement pas toucher des lèvres le mélange
obtenu par son apport providentiel.
Voici donc l'objet de toute l'attention, pour quelques infimes secondes
encore, constitué également de verre, et d'eau, liquide
pourtant méprisable s'il en est, vulgaire dans chaque sens
du terme, et peu vénéré d'habitude par les adeptes
de ce rite païen ; lesquels, à ce moment précis,
voient tous leurs regards tournés vers lui ; car, d'eau, le
contenu de la carafe est devenu " liquide ", instance masculine
au plus haut point, associée ici à la table des hommes.
Que dire de ce
qui s'ensuit alors ? Ce n'est plus que l'accomplissement sourd de
l'objet de l'attente, la finition béate et prévisible
qui se déroule alors, prisonnière des verres immobiles,
en chacun différente et semblable, en chacun le reflet du spectateur
se reconstruisant au fur et à mesure de la montée du
liquide aux apparences lactées et spermatiques crée
l'ascension irrésistible de la forme cylindrique qui prend
des allures de cône renversé de part la constitution
si particulière du fond.
En toute chose
la parole se crée et se récrée.
La virilité, démontrée par le rituel masturbatoire
de la prêtresse déjà dissoute dans la foule de
ses semblables requises par les tâches ménagères,
n'a plus à s'accomplir, mais à se réinvestir.
Chaque participant
s'octroyant alors le pouvoir des poètes.
Le Verbe tû s'émancipe et prend chair.
Ite missa est.
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Suite
(René Char)
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