Jean Pierre Pouzol

Chant

J’allais avoir vingt ans lorsque j’écrivais ce poème. Je n’avais pas revu et ne devais pas revoir celle à qui je m’adressais.
Mon projet était d’écrire un poème qui prolongerait mes lectures de La Ralentie d’Henri Michaux et de Lettera Amorosa de René Char. Je dois reconnaître qu’il n’en reste plus de traces repérables.
Ce poème faisait partie d’un long recueil qui fut détruit, avec beaucoup d’autres quand, dans moi-même, j’ai voulu couper court au passé.
Depuis, j’ai maintes fois essayé de le retoucher pour me le rendre acceptable. Finalement il apparaît ici dans son état originel hormis quelques maladresses émendées.
Très récemment Christophe Mileschi l’a mis sur musique et voix.
Il l’habite quand moi j’y suis toujours mon fantôme.



Tu n’es pas cette torche qu’on éteint avec l’ambre des rêves

Je te touche au fond de mes bras et au bout du coude que fait la rivière dans la nuit

Et le puits enjambe la fenêtre et se couvre d’ailes car les nuits sont fraîches

Et tu enjambes la fenêtre couverte de flammes fraîches

Te voici venir
Elan de promesse
Sur les lèvres des mots
Amour qui passe la porte
Amour qui passe le cœur

Projection des pas sur les planches d’un pont
Semblance des forges embrasées
Comme une sirène qui aurait couché à la belle étoile sur la clarté lunaire
Elan de couleurs Elan

Ton regard brûle chaque parole

Tes yeux trouent les oiseaux du sommeil
beaux raisins de l’oubli
grappes du fond du puits
sur mes mains de ramier blanc

Tu es la parole
La chute de lumière
Ailes étirées au saignement de l’empan journalier des objets ternes

Tu es le corps de toutes mes paroles
tu es le paysage ouvert de mes larmes
tu es la lumière tiède sur mes mains de neige

Tu es ma forêt mon bois de page
ma rage de traverser océan et labour du dedans

Odeur de pomme nocturne
et de chair éternelle
odeur de songe et de gerbe
dans toute moisson humaine

Affirmation de la germination

Tu vis dans moi ma colombe incendiaire

Je suis né de ton visage entre l’ennui d’être et l’imaginaire

Et je vis dans toi et renais
de ton souffle et renais
de tes mots et renais
sur tes lèvres

Et je deviens réel si tu vis

Et le poème boit le feu
Et touche ton corps
Et entre dans la forêt
Avec tes yeux cendrés
Cousus sur ma peau

Et le poème touche nos corps
de son ombre farouche
il ouvre nos mains à nos mains
il descend dans nos peurs
et poudroie notre sommeil
du désir de durer

Il n’est blessure de toi
Mais offrande par cette coupure d’absence

Du fond du chemin je te vois arriver
déjà je sens sur mes lèvres tes lèvres
déjà tes yeux me contiennent
déjà tes bras sur moi se referment
avec toutes tes feuilles qui me caressent

Ton corps est vaisseau pour l’inconnu

Désespère celui qui s’éloigne
avec ses mains sourdes

Je t’aurai espérée comme le bateau qui a coulé dans la mémoire et dont on attend qu’il resurgisse pour partir

Toujours tu resurgis
Parole dont je suis l’écho
ma parole de coups de cognée sous le ciel des revirements

Parole dont je suis l’ombre arrachée

Droite récemment nue
comme un vol de bulles

J’ouvre mes bras au feu

Sexe au trésor de pan de voix Foule dans la rue Précision des encolures pour renverser l’Ordre Etabli

Je suis le feu entre tes bras jusqu’aux poussières-vertige

Portefaix du rêve
Portefaix du réel et du mystère
Pour une porte réelle

Miroir du feu
Miroir du nuage où s’écartèle ma raison
Miroir simple et multiple toi-même
Miroir entre les angoissantes cités de solitude
Ramène-moi à l’eau claire

Nous étions deux miroirs dans le courant pour un même soleil

Je te possède comme la rivière l’étincelle d’oiseau

Tu es le silence de ma voix
Tu débordes
Tu es la parole qui ouvre
Celle qui me contient

Tu dors dans mes yeux dans ma mémoire dans mon haleine
Comme un soleil incontenable

Je te poursuis en année-lumière


Tu es

Ce nid d’images
Ce carreau d’orage

Tu es

Une girouette bleue dans une cage bleue

Te voici venir au carrefour des migrations
Dans l’embrasure des croisées de feuilles
Portant entre tes bras le pain du miracle

Tu guides les arbres dans le reflet des genêts

Sextant de mes chimères qui remonte le charbon à sommeil de la soute d’espoir

Je te vois à travers la roue des mots qui tourne sur la page

Je te touche sous l’écorce des grilles sous les cris des martinets sous la toiture du temps

Je traverse les douves de l’espace et t’atteins

Tu es
Tu es

La parole qui ouvre


Souillac le 28-31 juillet 1969.

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