Jean Pierre Pouzol

Pour Jacques Rouby

Toute parole est parole peinte
(Poème mis sur musique par Christophe Mileschi)

je peins la nuit avec la suie
le soleil dans l’oiseau troué
la fable des mains

les mots tourbent le profond remuement des visages morts dans la cage carbonisée

je peins la forêt avec mes rêves
le jardin qui enfante la colline
l’imaginaire d’un chemin qui court les herbes

les mots sourdent des fonts freux d’effroi tourbillonnaire hérissés dans l’air osseux

je peins la pluie clouée sur les persiennes
la flèche invisible qui franchit les buis
la poussière des cris éperdus dans l’été

les mots tournoient dans la combe hantés par des hordes caves qui broient le sphinx noir

je peins ma faiblesse enfermée dans la toile
les feurres enchevêtrés dans le vide palpitant
ma mémoire déprise

les mots troublent le ciel dans le cœur du passant qui n’a pour ombre que son enfance

je peins le labyrinthe et sa muraille de lune
le mufle noir du Chœur
la poussée de l’ombre et sa chrysalide brûlante

les mots soulèvent le couvercle des maux qui ferment le cercle des cris dans le chant pourri

Je peins les mots
La flamme le paysage
Le temps qui frôle le vent

Avec des mots de fer des mots d’enfer qui serrent

je peins au sang
l’ombre et le sommeil
la prophétie qui fore le corps

avec des mots rongés jusqu’à la pierre de songe pour laver le cerveau

je peins la Parole
pour regarder la lune basse dans le bois
telle une porte crue qui saigne par son trou

mensonges

je peins le bruit des fleurs
dans le carré de la fenêtre
que le chat traverse

mensonges

je peins la pierre-oiseau
qui dort sous les draps
derrière la glace voilée

mensonges mensonges ce sont paroles peintes sur mes lèvres couleurs feintes des mots

je peins ce qui ne peut se peindre
le chant et la rivière du chant
qui froue le cœur sur les lèvres

les mots du van des douleurs



Philadelphie, 17 septembre, Caminel 8 décembre 2002.

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