Mise à jour : 11-jun-05

Conte de Noël

Bugale Annaig : Conte de Noël...Version bretonne traduction de Loig Cheveau !


Les enfants d'Annick


Annick a regardé cent fois la grande pendule du salon, avec son bateau naufragé qui tangue de droite à gauche, et de gauche à droite, tic tac, tic tac, avec cette odieuse lenteur.
Nom d'un chien, quelle vilaine idée, d'avoir collé cette reproduction là, sur le balancier de la fausse horloge comtoise !
Ce vieux truc en mauvais bois contrecollé, aux aiguilles tordues.
La mémé n'avait jamais été riche, mais tout de même ! Ça n'empêche pas d'avoir, sinon du goût, du moins de la décence…

Annick pose avec agacement la pile de bols fleuris sur la petite table de la cuisine. Ils ont tous de petites oreilles et, fidèles à la tradition, s'ornent de personnages en sabots d'un côté, du nom de leur propriétaire de l'autre.
Annick, Nolwenn, Gaëlle et Yannick.
Papa est mort en mer voilà déjà un sacré bout de foutu temps. Dame, oui, la mer ça ne paie pas toujours.
On peut toujours prier, tiens. J't'en foutrais des chapelets, moi !
La mère essuie ses mains sur son tablier ciré. Elles sont toutes gercées. C'est le poisson. Tous les matins, elle le trie. Et les enfants doivent se débrouiller tous seuls pour l'école.
Et les voilà qui sont encore restés traîner après…
C'est qu'il va pas attendre, le chocolat chaud ! Avec la température qu'il fait, il envoie de la vapeur dans toute la cuisine, même qu'il va mouiller encore le bateau sur la pendule à côté.

Mais des cris se font entendre par les fenêtres. Tout Languidic résonne du cri des enfants. Sous la neige, évènement rare en décembre, les gosses en kabics arrivent en cavalant. Pointant des cagoules, les frimousses se froncent de plaisir en se heurtant à la bonne chaleur de l'entrée. Les cartables tombent par terre. Les bottes laissent des mares sur le paillasson.
Nolwenn, Gaëlle et Yannick fourrent leurs petits pieds laineux dans d'énormes chaussons bariolés.
Trotti-trotta, la petite cuisine paraît soudain noire de monde. Ca lape, ça grignote, ça déchiquète… Bouh, ce qu'il fait froid dehors !

- Alors, interroge maman Annick, alors, la fête, c'est bien à 7 heures ? Est-ce que Pascal a pu se faire remplacer ?
Yannick lève le nez de son bol. Ses lèvres mousseuses font la moue, tandis que ses deux sœurs le poussent du coude, chacune de leur côté.
-Maman, c'est Yannick qui va faire le paysan, et aussi le korrigan du début !
-Ah ! Annick reste sans voix. Quelque chose vient de la frapper en plein cœur. Elle en tituberait presque. Mais Nolwenn est toute excitée à l'idée d'aller applaudir son frère en plus de sa sœur.
- Madame Le Boulch a vu monsieur Guéguan, et il est d'accord. C'est Yannick qui danse le mieux. Et puis, il sait déjà son texte. Il l'a appris à la récréation avec Gaëlle.
- C'est vrai, Gaëlle ? Ton frère va jouer avec toi ? Mais toi, tu fais toujours la vilaine sorcière, avec le masque ?
Annick sent ses mains trembler : " C'est bien. C'est très bien. Alors, il faut bien se préparer. Tu as pris un costume, Yannick ? "
Yannick ronchonne :
-J'aime pas les sabots ! J'ai jamais dansé en sabots, moi. Les aut's, oui. Y'en a des qu'ont dansé déjà au Fest Noz, et avec le Bagad.
- Si Le Boulch a dit c'est bon, c'est bon ! s'étonne la petite Gaëlle. Il ne prend pas tout le monde, hein. Et il t'a donné des sabots.
Annick sourit. Elle a les larmes aux yeux.
Ce sera bien la première fois que ses petits joueront dans la pièce de Noël. Et ils seront les meilleurs, bien sûr.
Seulement…
Seulement, ce qui l'agace depuis plusieurs jours déjà risque bien de trouver bientôt sa réponse.
Ce qui la tarabuste, ce qui la met mal à l'aise.
Ce soir, si ça se trouve, ça sera fini.
Ou bien ça sera pire.
Annick s'en veut d'avoir de mauvaises pensées, à trois jours de Noël. Elle se fait du mouron pour pas grand chose, décidément ! Et les lapins, elle allait oublier les lapins ! …

Là-haut, dans les chambres, les gosses font un foin d'enfer. Pourvu qu'ils ne démolissent pas la baraque !
C'est Yannick, maintenant, qui ne trouve rien de mieux que de répéter un Fisel sur le plancher… Avec Nolwenn et Gaëlle dans les chœurs.
-Allez, les bigoudens, faut reposer vot'voix ! La sorcière, tu le mets toute seule ton chapeau, ou tu veux de l'aide ? Et l'paysan, il a tout c'qu'il faut ?
Elle entend Yannick s'étrangler de rire.
- Oui, maman, j'ai mon biniou !

Nolwenn, elle, n'est pas costumée. Mais elle a mis son plus beau pull. Sa classe chantera des gospels. Et elle aura droit à son petit solo.
Bizarrement, maman avait aussi ronchonné.
Elle n'a décidément pas l'air d'apprécier ce genre d'activités !
Pourtant, c'est elle qui a poussé ses enfants à s'inscrire aux mercredis de l'Amicale Laïque…
Mais qui saura jamais ce qui passe par la tête des mères ?

... Une petite réflexion se fait jour. Mais, zou ! vite envolée dans la fébrilité des derniers préparatifs. Une étincelle si fugitive que Nolwenn ne se rappelle plus du tout l'avoir pensée.


Ça y est, c'est l'heure. Tout le monde embarque à bord de la petite 4L, dont on est obligé, malgré le froid, d'ouvrir la vitre arrière pour laisser passer le bout pointu du chapeau de sorcière…
Gaëlle est raide comme la justice, Nolwenn jacasse et frétille de joie, Yannick ronchonne sur ses sabots. Annick est sur le qui-vive :
- Yannick, qu'est-ce qui ne va pas ?
- J'aime pas les sabots. Y me vont pas bien. Y sont trop grands.
Elle pousse un ouf ! de soulagement : " Eh bien, t'iras voir Monsieur Le Boulch. Il en a plein, des sabots, au premier. Y'aura bien une paire pour toi ".

Arrivée. Tout le monde descend. Toutes les familles sont déjà là. Les pépés, les mémés, les taties, les tontons… Ça scotche, ça ficelle, ça coiffe, ça encourage.
Annick n'a pas de famille à amener. Sauf les gosses, bien sûr. Et c'est une sacrée famille, ah dame oui !
Et v'là le Yannick qui filoche chercher ses sabots. Gaëlle qui redresse son chapeau. Nolwenn qui s'éclaircit la voix dans les lavabos…

Du spectacle, Annick n'a rien vu, rien entendu. Les yeux rivés sur la salle. Sur la défensive. Pour rien, puisque, comme d'habitude, tout le monde a repris en chœur les vieux succès traditionnels, frappé des mains en cadence aux gospels, applaudit à tout rompre à tout.

Alors, quand Yannick est venu saluer, en vieux paysan breton, entouré de korrigans hirsutes aux bonnets trempés de sueur, elle s'est réveillée.
Puis elle a couru vers derrière le rideau.
Elle a félicité ses trois enfants.

Elle a embrassé les joues brunes, et caressé les cheveux crépus de ses trois enfants...
Ah Dame, c'est pas pour rien qu'ils s'appellent Yaakaar, les gosses ! Comme le père, qu'était un sacré marin.
En wolof, ça veut dire " espoir "…

Sous les grands bras d' Annick, les trois petits, aussi noirs les uns que les autres, rejoignent fièrement la 4L.

Lauranne


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