Giovanni Boine
(1887-1917)


Fragments
(extraits)


PRÉFACE
Giovanni Boine vécut trente ans, de 1887 à 1917, sur la côte ligure. Entre ces deux dates : 1914, l'Europe dans la guerre ; à ce moment basculent la vie et l'œuvre de Boine : une crise intellectuelle violente, une phtisie qui s'aggrave, le choix de l'écriture poétique et un recueil de poèmes unique, le début d'une lente agonie. Boine ne mourut pas à la guerre ; il mourut, comme beaucoup, de la guerre.

À vingt ans, Giovanni Boine est un jeune intellectuel dans la mouvance de son temps. Avec ses compagnons génois, un peu plus tard avec les cercles de la capitale culturelle Florence, il traque une raison et une foi possibles dans un siècle où science et religion se dérobent.
D'ardeurs en écueils, sa quête philosophique le porte un instant à la poésie :
Arido, agro, franoso, logicizzar del cervello senza più rombo né sgorgo.
E perché più non gorgoglia la vita dentro l'esanime corpo, ecco più la calura del sangue con rombo non pompa nell'arterie del mondo. Come uno scheletro inutile, rigido, sta (mia fatica ! speranza mia calda !) la trave dell'Ordine.
(Salmi della vita e della morte)


Aride, aigre, délitescente, ratiocination du cerveau qui plus ne gronde ni ne sourd.
Et puisque plus ne gargouille la vie dans le corps inanimé, voilà que plus la chaleur du sang qui gronde ne pompe dans les artères du monde. Comme un squelette inutile, rigide, se tient (ma peine ! chaude mienne espérance !) la poutre de l'Ordre.
(Psaumes de la vie et de la mort, septembre1912)

Il s'en détourne aussitôt, choisit le parti de l'ordre, entreprend de figer coûte que coûte le monde dans ses hiérarchies :: il défend les grands propriétaires terriens, trouve du génie à Gobineau (Essai sur l'inégalité des races) et écrit un traité d'éthique militaire : Les discours militaires,achevés au printemps 1914.
Été 1914. Les champs d'honneur du nord de la France sont des no man's lands où se succèdent par vagues les cadavres. Les ordres de la hiérarchie veillent à la bonne marche des choses.
Dans les lettres privées, Boine désavoue son livre (« Où est la patrie ? Sait-on quoi que ce soit de la patrie ? Ça, c'est le jugement dernier »).
[…]

Cependant, sortis en octobre 1914, Les discours militaires sont un succès immédiat, le seul qui paya jamais les dettes de pharmacie de l'auteur.

Un mois plus tard, alors que le nom de Boine est lié à la gloire de la patrie et à la rédemption du peuple par l'éducation militaire, alors même qu'il reçoit les félicitations personnelles du Roi, du Général en chef des armées et du ministre de l'Intérieur, paraît Frammenti (Fragments). […] C'est le premier d'un groupe de poèmes en prose qui deviendront, après la mort du poète, un livre. […] Le recueil est baptisé Frantumi (Morceaux) du nom d'un des poèmes. Paru en 1918, Frantumi constitue un rare témoignage contre la guerre et ses raisons et l'une des plus belles œuvres de poésie du XXe siècle italien, avec les Chants orphiques de Dino Campana sortis en août 1914. Ce n'est pas une coïncidence, la rencontre avec l'écriture campanienne fut décisive dans l'acceptation de la poésie par Boine.
On peut donc lire Frammenti comme le récit d'une méprise, d'un repentir ; il raconte la souffrance de l'être partagé, écartelé par d'indéfectibles inutiles liens, lié à la fin à ce morcellement même.
Jusqu'à ce que, de fragment en fragment, et de poème en poème, l'écriture ne conserve plus de ce morcellement que la mémoire d'un balancement, qu'elle ne soit plus que le bercement stupéfiant où puiser une manière d'apaisement, le déliement, ce lieu exact d'où fuir vers l'immobile.

Stéphanie Laporte

Fragments
(extraits)

Version italienne
Version italienne

Le Nœud des Miroirs

Notice bibliographique


 Boine, Giovanni
(1887-1917)

Type : texte imprimé, monographie

Auteur :  Boine, Giovanni
Titre :   Fragments / Giovanni Boine, traduction de C. Mileschi, préface de S. Laporte
Publication :  Fajoles (Caminel, 46300) : le Nœud des Miroirs, 2001
Description matérielle : Non paginé [15] p. ; 20 cm

Collection :  Le Nœud des Miroirs. Numéro errant
Lien à la collection :  Le Nœud des Miroirs. Numéro errant.
Notes :   Suppl. au Nœud des Miroirs, ISSN 0755-0413, N°12-13


Prix : 5 €