Fragments
(extraits)
1) Parfois quand au couchant je me promène fatigué au long
du Boulevard (qui est vide), quelqu'un que je rencontre dit, fort, mon
nom et fait : « Bonsoir ! ».
Alors d'un coup, là sur le Boulevard qui est vide, je me heurte
ébahi aux choses d'hier et je suis moi aussi une chose avec un
nom.
2) Quand je te serre la main et que tu reprends sur le discours
d'hier, je ne sais quelle réverbération jaune d'imposture
ambiguë colore de dedans l'acte de moi qui t'écoute. Je
feins d'être avec toi et je n'ai pas le cur de te dire d'un
coup : « Je ne sais qui tu es ! »
Ami, en vérité, je ne sais qui tu es.
Et comment veux-tu que je ressoude l'aujourd'hui à l'hier, lèvres
d'abîme, blessure écartelée de l'infini.
3) Tu m'arrêtes dans la rue en m'appelant par mon nom, avec mon
nom d'hier.
Or, qu'est-ce que ce spectre qui revient (l'hier dans l'aujourd'hui)
et cette immobile tombe du nom ?
4) Tiède couche du nom, sûre maison de l'hier ! Douce
laine des souffertes douleurs, halte ombragée des joies lointaines.
Navire sur la mer. Radeau de naufragés.
Mais l'aujourd'hui est, allons, comme une cataracte ouverte.
Nuées changeantes dans l'abyssal creux du ciel.
5) Toi tu restes planté-solide dans l'hier observatoire élevé
de l'aujourd'hui, et attentif tu y épies toutes les choses, chacune
selon son nom.
Qu'aucune ne t'échappe voici ton office, et que toutes se suivent
selon l'ordre juste. Que toutes s'encastrent et fassent ensemble un
régulé dessin. Qu'aucune ne t'échappe, et qu'il
ne soit point de saut.
6) Tu entasses tes jours dans le calendrier des douze mois ; tes heures
tu les mesures sur le claquet d'une roue.
C'est pourquoi à septembre octobre fait suite et l'effet à
la cause. L'hier tient les rênes de l'aujourd'hui et les appelle
« devoir ».
7) Quelle peine de vivre sur le mètre de l'hier ! Mais, buf
sous le joug, tu avances. L'aujourd'hui est l'hier, et grasse l'étable
s'ouvre à la fin du sillon.
PRÉFACE
de Stéphanie Laporte
(extraits)
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